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L’Atelier Artistique

L’Atelier

Beaucoup avec pas grand-chose

« La terre nous en apprend plus long sur nous que tous les livres. Parce qu’elle nous résiste. L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle. Mais, pour l’atteindre, il lui faut un outil. Il lui faut un rabot, ou une charrue. Le paysan, dans son labour, arrache peu à peu quelques secrets à la nature, et la vérité qu’il en dégage est universelle. De même l’avion, l’outil des lignes aériennes, mêle l’homme à tous les vieux problèmes ». 

L’atelier est un genre d’endroit pour récolter des matières qui nous résistent. Il va falloir les façonner, les transformer au moyens d’outils et petits à petit les assembler pour aboutir à notre production et ainsi ajouter une expérience à notre catalogue. C’est sur cette route, dans ce processus que des compétences circulent, des savoirs se transmettent, des sens se construisent, des représentations bougent… On évolue entre création, transmission, production, diffusion, rencontres humaines, représentations… L’atelier n’est pas simplement artistique, pédagogique, social, socioculturel, thérapeutique… il est tout ça à la fois : il est humain. C’est faire l’expérience d’une situation qui n’est pas découpée en cases, mais où on crée des liens, on construit, on évolue entre ces différentes dimensions. L’atelier ouvre un espace esthétique, d’expérience où une cohérence humaine de travail non sectorisé va pouvoir se développer, produisant ainsi à travers les matières travaillées, non seulement des formes concrètes (disques, spectacles…), mais aussi des sens, des compétences qui nous construisent et nous transforment.

Depuis quinze ans, j’ai croisé toute sorte de gens en atelier. Ecoles (maternelle au lycée), centres éducatifs, lieux d’animation, structures médicales, espace public, foyer en tout genre… En fait des jeunes, des tous petits, des ados, adultes, vieux, des calmes, des turbulents, des grands, des petits, des malades, des sacrément mal barrés dans la vie, des drogués, des demandeurs d’asile, des fils à papa, des branleurs, des citadins, des fils d’agriculteurs, des étudiants, des musiciens… Au fil des ateliers, ma façon de les conduire s’est radicalement transformée. Du modèle traditionnel du « projet » avec ses objectifs, son public, ses moyens et une pédagogie adaptée, j’ai évolué vers une manière assez éloignée de voir et de construire les choses : ouvrir l’espace, de créer un décalage, de poser la première pierre d’un endroit où au fond tout est possible. 

L’Atelier, beaucoup avec pas grand-chose

Entre rencontres humaines, bricolage et démarche artisanale se construit pour moi cette notion d’atelier. D’ailleurs, le terme « atelier » provient de « l’astelier » et désigne à l’origine le lieu où l’on travaille le bois et la zone jusqu’où les copeaux débités se dispersent.En anglais, « workshop » est composé de « work » (travail) et de « shop » (magasin, lieu aménagé pour le dépôt de matériaux). Atelier comme Workshop désignent un lieu où l’on travaille de la « matière ». 

Quel que soit le nom ou la forme qu’on lui donne (atelier, formation, journée résidence, bord de scène…) ou même lors de travail avec d’autres artistes, j’y vois un principe commun :  

  • Dans un lieu (maison des jeunes, salle de spectacle, école, foyer, Mjc, local de répétition, la rue…)
  • Un groupe (individus différents, compétences, attentes, envies, rapport aux choses différentes…)
  • Se met en route pour travailler des matières (sons, textes, environnement sonore, notes…)
  • Au moyen d’outils (logiciels, instruments de musiques ou virtuels, jeux d’écritures, micros…)
  • Pour en produire quelque chose (chanson, pièce sonore, album, texte poétique, spectacle…)

Le résultat de ce travail sera diffusé soit de manière large (en live, album, mp3 sur internet…) soit de manière restreinte (au sein du groupe, juste dans le lieu d’accueil…). 

Il existe à mon avis autant de manière de conduire un atelier que de gens qui décident de rentrer dedans. Au fil des ateliers et des différentes expérimentations que j’ai traversé, je me rends compte que ce qui me correspond s’articule toujours plus ou moins autour du schéma suivant. 

Avant l’atelier & Notion de projet

Cette première étape qui correspondrait un peu à la phase conception de « projet » est très importante. Bien que j’ai développé au fil des années une désaffection viscérale avec cette notion et ce mot de projet, comprendre, préparer et savoir où l’on va mettre les pieds est fondamental. Je suis convaincu que c’est un outil pertinent pour préparer une action mais comme tous les outils, il comporte aussi de nombreux travers qui je trouve sont très rarement posés sur la table. 

C’est d’abord un outil profondément discriminant, un langage et une méthodologie administrative et sélective. J’ai rencontré nombres de très bons Artistes et / ou « Atelieristes » qui faisaient sur le terrain ou dans leur travaux de chouettes choses. Mais complètement à l’ouest avec la maitrise et la rédaction de projets, ils étaient peu visibles et avaient tendance à bien galérer. La pertinence qu’ils dégageaient est complètement occultée car ils sont incapables de la conformer et de la traduire en projet. Peu importe à qui la faute (eux, l’école ou le projet), la conséquence est que des démarches intéressantes ont peu de visibilité ou de travail. A l’inverse, j’ai croisé des « Loups des dossiers » des beaux-rédacteurs, des types qui ont le verbe et la prose pour rédiger en peu de temps une belle vitrine avec la même grandiloquence qu’un final de Walt Disney. Eux sont plus visibles et plus 

Je me suis aussi rendu compte que le projet pouvait être un outil de contrôle et je me suis retrouvé être un pantin au service de je ne sais trop quoi. Entre 2007 et 2008, je réponds à un appel à projet (FSE 10b) Européen : il fallait mettre en place un projet qui visait à « Favoriser l’insertion professionnelle de jeune femmes en difficultés ». Au-delà de la technicité extrême du montage du dossier, toutes les cases sont déjà prévues jusqu’au nombre de caractères minimum et maximum pour expliquer le pourquoi du comment. Il y a tel nombre de pages, d’étapes et de règles pré remplies et bordées qu’un cabinet d’expert extérieur doit accompagner et valider le montage du projet. Sur le terrain, les ateliers se sont plutôt bien déroulés après de là à dire qu’il y a eu insertion professionnelle, les critères de l’évaluation et le temps de suivi ne sont pas suffisants et j’ai surtout eu la sensation d’être un gentil petit pantin qui a bien appris et récité sa leçon. Et pour me donner bonne conscience ou m’étouffer sous une médaille, je suis obligé de répondre à des journalistes qui me font un article de 2 pages dans une revue avec un portrait en gros et un sous-titre genre « Entrepreneur de l’année au service de l’emploi ». Je dois aussi participer à une sorte de colloque ou je vante les mérites de mon action et donc du dispositif FSE 10b. 23000 euros et de belles affiches de communication, mais malgré une évaluation qualitative et quantitative, je ne peux franchement en aucun cas être certain de l’impact réel du projet.

La production : fixer un cap

J’ai croisé de nombreux atelieristes et sur la question de la production, j’ai vu deux approches différentes. D’un côté ceux pour qui le résultat d’un atelier est moins important que ce qui s’y passe. Les acquis pendant l’atelier priment. De l’autre, ceux pour qui la qualité de la production est très important. Le profil des atelieristes de la première vision est plutôt sous l’influence de l’animation socio-culturelle. J’ai entendu la seconde vision plutôt dans les bouche de rappeurs pour qui la « prod » est essentielle. J’ai eu du mal à me situer au début puis avec la notion artisanale, cela m’a paru très clair. Non seulement, l’un ne va pas s’en l’autre, la production (comme par exemple pour un artisan une paire de chaussure sur mesure) est juste le point de départ. Dans les ateliers, je pars toujours de la production. 

Peu importe sa forme (Pièce sonore à partir d’objet du quotidien. Chanson française. Musique électronique. Instrumentale Rap. Pièce sonore sur la nature. Un album. Une bande son pour un film ou un spectacle…). Ainsi, je présente des formes possibles (j’essaie d’en montrer qui sortent de l’ordinaire) puis j’expose plus ou moins le « défi » suivant : nous avons x temps pour réaliser notre production puis la montrer. La notion de temps est essentielle car elle définit vers quel type de production (plus ou moins complexe) nous pouvons nous embarquer. Il s’agit pour moi de fixer un cap. Même si on n’y arrive pas, si on dévie vers autre chose, c’est pas grave, on se met en route. Un peu à l’image de Christophe Colomb : on se dirige vers les Indes en prenant une route nouvelle et au final l’arrivée en Amérique est une découverte majeure. 

 Montrer / Démo

Je commence toujours mes ateliers par montrer. Cela peut avoir plusieurs formes (je créer assez rapidement devant eux une musique, on va voir un spectacle ou encore ils viennent me voir sur scène…). Un peu comme dans règne animal, il s’agit d’un principe de transmission de base : d’abord montrer. L’idée est d’entrer en discussions, de donner un petit aperçu des possibilités, de partir de nos expériences, de donner envie, de démystifier l’activité de création, d’en montrer des mécanismes possibles : donner un aperçu global de la chaine de l’idée jusqu’au produit fini. Cette phase est très importante car c’est souvent aussi le premier temps de rencontres entre moi et les participants, un peu comme le teaser d’un spectacle, c’est la première étape de communication à ne pas rater, c’est la première impression laissée qui durera peut-être jusqu’à la fin de l’atelier. J’essaie souvent à cette étape de montrer quelque chose d’inhabituel, de marquant, de drôle et un peu foutraque. Pour retenir leur attention certes, mais aussi pour créer un décalage et faire place nette. J’essaie de transmettre le message suivant : « Attention à partir de maintenant, vos représentations, vos modèles vous les laisser au vestiaire. Y a plus de règles, tout est possible sans jugement. On va juste passer un bon et léger moment ensemble ». 

Avec le temps, je me suis aussi rendu compte que cette présentation allait aussi avoir une influence conséquente sur les productions à venir. Par exemple, une démo très orientée sur le bricolage d’objets sonores pouvait facilement conduire à beaucoup d’objets sonores dans les créations. Ainsi, j’ai mis en place d’autres options. Par exemple, une présentation beaucoup plus hybride, un beat à partir d’objets du quotidien + je joue de la contrebasse + Nappe et synthé électro + texte Slam. Ou encore, j’effectue plusieurs démonstrations en début d’atelier tant qu’on est encore en phase de recherche (1ère et 2éme journée par exemple). Si la première est plutôt axée objets sonores le matin. J’en ferai une deuxième complètement électro-machines. Puis un troisième Slam Contrebasse minimaliste ou une juste basée sur la Sampling. Entre le tour de table où j’essaie d’évaluer les goûts, expériences et attentes des participants, mon expérience personnelle et une bonne dose d’intuition, je vais réajuster cette étape démo en direct, assez vite en fonction de comment je sens le groupe, un peu comme une improvisation, je vais réagir à l’instinct en fonction de ce que me renvoie les participants. A l’inverse, si je sens par exemple qu’une esthétique Prod d’instru Rap les fait bien réagir, je vais choisir (peut-être ou pas que dans un premier temps en tout cas) d’occulter tous les autres outils et matières sonores et me concentrer sur ceux-là. Par ce qu’au fond peu importe l’esthétique, la technique ou les outils choisis, c’est la rencontre en façonnant des productions qui compte. 

Outils et matières 

J’essaie de donner un cap dans mes ateliers, toujours sous la boussole d’un schéma que j’ai affiné avec les années et qui se dessine ainsi, une fois la rencontre effectuée, l’objectif de production et le délai fixé. 

J’assume de leur raconter qu’au fond, fabriquer de la musique ou des textes, ce n’est pas très compliqué. Comme un artisan, on a simplement besoin de matière premières (banques de sons, objets sonores à enregistrer, notes de guitares…) et d’outils (instruments, jeux d’écriture, Vst, logiciel Audio…) qui vont nous permettre de transformer, assembler pour créer des liens entre les matières premières récoltées, et ainsi façonner tranquillement nos productions. Bien évidemment, cette manière de présenter les choses est adaptée à qui j’ai en face de moi. Par exemple, si j’ai des enfants je vais présenter les choses sous forme de jeux. Mais en règle générale, le groupe semble à ce moment un peu perdu. Et c’est tout naturel, c’est un peu comme s’il était au pied d’une montagne et que je leur demandais d’aller tout en haut. Alors il est évident que je vais les accompagner à avancer pas à pas dans leur ascension. Mais j’aime assez l’idée de les faire partir d’une situation qu’il trouve difficile et qu’au fond on va la résoudre avec une facilité déconcertante au fil de l’atelier. Une fois cette étape passer, je sépare le groupe en petites unités de production de 2 ou 3 personnes. Ces petits groupes vont soit bosser sur leur production, soit sur un bout de la production commune. Après une présentation de quelques outils, je leur propose de travailler souvent aux travers de jeux (d’écriture, des Battle de Beat…) à expérimenter du façonnage. Je passe de groupe en groupe et les assiste aux cas par cas sur ce qu’ils sont en train d’essayer. Je leur dis de bien noter tous les problèmes qu’ils rencontrent car on se retrouvera dans peu de temps en groupe entier et chacun exposera les difficultés rencontrées que le groupe va essayer de résoudre et s’il n’y arrive pas : je leur donnerai une solution. En début d’atelier on opère de nombreux aller-retours entre l’expérimentation en petit groupe et une réflexion collective. 

Au fil des heures, je présente de nouveaux outils soit parce qu’ils en ont besoin dans la route qu’il emprunte soit pour leur ouvrir de nouvelles pistes. Et ainsi petit à petit, on illustre la petite maxime « c’est en forgeant que l’on devient forgeron ». 

Pour moi, le principe est d’instaurer à la fois un aller-retour entre outils et matières mais aussi un aller-retour entre expérimentation individuel et résolution collective des problèmes. Je m’implique aussi personnellement dans leurs productions, je participe aux jeux que je mets en place. Je monte sur scène avec eux. S’ils ont besoin par exemple d’un plan de contrebasse, je le réalise comme je le réaliserai dans mes productions personnelles. J’essaie de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’un côté des sortes « d’élèves » et de l’autre un « professeur » qui sait et qui transmet verticalement du savoir. Non. On est un groupe d’individus avec des compétences différentes (c’est évident) mais on collabore. Et je ne peux pas prédire à l’avance qu’elles sont les bonnes compétences à transmettre, ni la direction que l’on va prendre, ni ce qui va se produire ou se transférer. Et pour avoir essayé de nombreuses configurations différentes et des plus verticales, c’est dans cette forme qu’il se passe mille fois plus de choses en terme de rencontre humaine, de transferts et de productions. 

Restitution et autonomie

La dernière étape réside dans la restitution des productions et de montrer les processus qui les ont engendrés. Un peu comme un iceberg, les productions ne sont que la face visible : qu’est-ce qui s’est transformé dans cet atelier en plus des matières premières ? Faire écouter l’album produit, jouer le spectacle, faire des petites vidéos des pièces musicales… sont des formes directes de restitution. J’essaie aussi souvent d’organiser une rencontre après la restitution entre le groupe qui a produit et ceux qui sont venus voir. Assez naturellement, ils se mettent à raconter le chemin parcouru et à leur manière à transmettre les étapes par lesquelles ils sont passés. Certains d’entre eux ont par la suite eux même conduit des ateliers. Et c’est un point pour moi central : l’atelier s’ouvre puis se referme mais il peut faire naître d’autres ateliers. Un peu comme une graine qu’on met en terre, une plante poussera et à son tour sèmera des graines. En fin d’atelier, je laisse de nombreuses documentations, liens internet, dossier technique sur telle ou telle chose (je suis aussi en train de mettre l’accès en ligne sur mon site à toutes ces données) et je reste en contact par mail pour répondre à toutes questions qui pourrait leur venir. Et je prends un grand plaisir à y répondre, quand par exemple un an après, je reçois une question sur telle ou telle chose : un atelier est en train de s’ouvrir ! 

Esthétique & réflexif

Pour moi, la musique existe dans l’espace entre celui qui la joue et celui qui l’écoute. Je me pose souvent la question de la « nature » de cet espace ? Un temps de divertissement ? Une vitrine pour un territoire ? Un temps de consommation d’un travail esthétique ? Un temps justifié par des notions que je n’ai toujours pas vraiment comprises comme la « démocratisation culturelle » ou la mise en valeur de la « diversité culturelle » ? 

Un peu à l’image des clubs de Jazz du Paris au début du 20ème siècle : d’abord perçus comme des lieux de la nuit, d’alcool, de sexe ou de provocation en tout genre, ils ont participé à l’émancipation de nombreux noirs américains, (Joséphine Baker, Sydney Bechet…). A travers ces clubs, ces musiciens ont pu y faire l’expérience d’une vie libre, bien loin de leur condition d’origine. Leurs « représentations » (comment ils étaient perçus ? Les perspectives qu’ils s’attribuaient ? Pouvoir acheter et se promener partout en ville. Bien gagner sa vie. Etre assis à la même table et au même niveau qu’un blanc…) ont été modifiées puis transmises sur le nouveau continent. 

  « […] Ils ont vu des choses, connu la possibilité de vivre une autre vie et la possibilité d’être libres. Ce qui rend désormais inacceptable ce qu’ils ont connu avant […]. Les clubs n’étaient pas que des lieux de spectacle, ni juste des lieux de rencontres et de drague. Ils font office de bibliothèque de prêt qui relie une communauté de noirs pas simplement à ce qui se passe en musique mais aussi à ce qui se passe au quotidien »

Pour moi, un atelier peut ouvrir l’endroit parfait pour construire des sens (l’intelligible) par les sens (le sensible). Il permet de poser sur la table tout un tas de sujets qui ne sont pas simplement des trucs de techniques de création artistique mais beaucoup plus « généralistes », des choses de l’ordre de la vie de tous les jours. 

Expérimenter une situation de bricolage

Il m’est arrivé à plusieurs reprises de construire des configurations avec peu de moyens, la nécessité faisant loi. Une fois, j’avais demandé aux participants d’apporter tout ce qui leur semblait bon pour fabriquer des musiques. En faisant l’inventaire de leurs outils, nous n’avions pas grand-chose : juste trois vieux ordinateurs portables. Quand j’annonce que c’est tout ce qu’on aura, je sens chez les participants une sorte de déception, un quelque chose du genre « ça va être tout pourri nos trois jours ». On télécharge sur Internet un logiciel de montage audio gratuit (enfin pour être exact, une version d’essai gratuite pour 30 jours). Et je leur dis de vider leurs poches et de tout poser sur la table : des clés, des pièces de monnaie, tickets de bus, paquet de chewing-gum… On part faire le tour de la structure et on récupère tout ce qui traine : des gobelets et touillettes à café dans les poubelles, des pierres et brindilles dans la cour, élastiques, bouts de ficelles, crayons usagés et tout un tas d’objets dans le genre. Petit à petit et à grand coups d’expérimentation, on se met à sampler, transformer, enregistrer les sons produits par les objets, en les cassant, en les tapant les uns sur les autres, en tapant sur les tables… Par tatonnage on se rend compte qu’une grande palette de sons est possible et qu’en plus on peut les transformer numériquement pour par exemple changer les notes et fabriquer une ligne de basse à partir d’élastiques ou de touillettes à gobelets qui vibrent sur un bord de table. On se prend tous au jeu du défi, on retourne « à la chasse » d’autres objets (on avait appelé ça ainsi) qui trainent en fonction des besoins rencontrés dans les pièces et surtout qu’avec les expérimentations qu’on mène, on comprend de mieux en mieux comment utiliser tels ou tels objets. Les trois jours passent à une vitesse incroyable, et le dernier jour, on écoute à la suite les pièces sonores ainsi façonnées. A la fin des écoutes, le silence règne. Je les fais réagir et il en ressort qu’à la fois on est tous émus à la fois des résultats, du chemin parcouru, et du bon moment passé ensemble. On a pu construire à partir de pas grand-chose des jolis choses tout en apprenant sur ces matières sonores comme sur nous. De contraintes, de peu d’outils, au fond avec pas grand-chose, on avait fait beaucoup. Ce principe que nous venions de toucher du doigt ensemble, étais une démarche que l’on peut reproduire dans beaucoup d’autre situation dans la vie en générale. 

Contrainte & Créativité

Dans mes ateliers, comme dans mes productions, j’ai toujours été saisi par un paradoxe. On a à notre disposition une telle profusion d’outils pour créer des musiques (instruments, logiciels, VST, contrôleurs, effets, synthés…) que face à cette infiniment grand, on est en quelque sorte presque face au vide. Les possibilités sont infinies, et perdus dans cet océan des possibles, notre créativité peut vite se retrouver noyée. Au fond, avec le recul, je me rends compte qu’en atelier ou dans ma pratique professionnelle ou dans la vie en générale, plus j’ai eu à faire face à des contraintes, du peu, du manque et plus j’ai non seulement dû être créatif, mais plus les réalisations ont de la personnalité. Comme si elles transpiraient toute l’énergie et l’inventivité pour les faire naître. Quel que soit la discipline ou la forme de mon atelier, j’essaie toujours de partir de contraintes fortes. Cela n’a pour moi aucun intérêt d’utiliser comme outil le meilleur logiciel, le meilleur micros, plug de Mastering ou synthé modulaire… Ce qui compte c’est que cette situation d’atelier les emmène à stimuler leur créativité, les faire se dépasser pour qu’il en saisisse l’essence et le principe afin de pouvoir plus tard le réinjecter dans n’importe quelle autre situation qu’ils auront à traverser. Par l’expérience de l’atelier, ils font l’expérience de travailler des matières qui résistent. D’autres sortes de matières leur résisterons dans la vie, mais ils auront cette première démarche ou toutes celles qu’ils pourront inventer pour y faire face. 

Pour cette présentation de mes expériences autour de l’atelier, je suis convaincu qu’il existe autant de manière de conduire des ateliers que de gens qui les font. En aucun cas, je ne prétends émettre des vérités sur l’atelier, je présente ce qui me correspond. En revanche, il existe un grand nombre d’ateliers sur nos territoires et ce qui s’y passe, s’y produit, s’y transforme est assez peu visible.  Il y a peu (ou je suis systématiquement passé à côté) de connaissances produites et diffusées sur cette question. Le véritable objectif de cet article serait de poser une première pierre à ce chantier.

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